Émigrer d’Occident…
Est-ce un accident?
Fuir un monde oppressant,
Une course effrénée du lever au coucher
où tu jongles entre des horaires imperturbables
où tes gestes sont chorégraphiés
pour être rentabilisés
où bosser, taffer, travailler
dessine la couleur de ta vie
là où tout est organisé
pour que tu ne puisses plus reculer
respirer
parce que tu es chronométré
du coucher au lever
pour que ça roule
et que ça
fonctionne
parce que tu es réduit à «ça»:
rouage d’une machine
qui t’amène du lundi au vendredi
dans le train du pragmatisme quotidien
alors tu réinventes ta routine en regardant à travers la vitre
tu essaies de t’échapper
et tes écrans sont fenêtres ouvertes sur le monde
ou bien reflet de ton désir d’évasion
désir de te reconnecter avec les autres
de savourer l’instant
le bonheur de se sentir vivant
que tu sacrifies pourtant
à coup d’alarmes
-réveille-toi!-
sur l’hôtel de la perfection et du paraître
Émigrer d’Occident,
est-ce un axe évident?
Une conséquence logique
Une réponse impérative
à la folie de la haine
ou bien est-ce une légère dérive d’enfant gâté reniant sa mère?
Sa mère patrie
rongée par la tumeur
de la peur
effroi de la foule
horreur de la dispersion
terreur de ne plus être soi
d’être hors de soi
de perdre un fragment de nous
en se mêlant à autrui
Mère patrie aux bébés cosmopolites
terrorisée par
les réactions de ses rejetons
agoraphobie
homophobie
islamophobie
xénophobie
mysoginie
-pour parler politiquement correct-
Grosse maman ridée qui ne lâche plus ses joujoux :
Liberté Égalité Etc
ses jouets d’un autre siècle
témoins d’une révolution sanglante
qui lui bandent les yeux
devant le spectacle des égarements de ses enfants
Émigrer d’Occident..
est-ce un accident cérébral?
ou bien un virus que nous attrapons tous
dans la confusion de nos générations X, Y, Z ?
Pourquoi quitter
la sécurité d’une puissance économique ?
un si beau PIB !
Pourquoi laisser derrière soi
ces vitrines alléchantes
remplies de choix capitaux
-et capillaires ?!
Pourquoi essayer de nous enraciner ailleurs?
-parce que la modernité nous a déraciné?-
Parce que les voyages forment la jeunesse?
Mais malgré toute notre bonne volonté
Nos idéaux naïfs
Nous ne serons jamais «immigrés»
D’occident
Nous restons des
animaux domestiques
lâchés hors de leurs enclos
« expatriés » on nous dit
Alors
est-ce vraiment suffisant
d’essayer de s’intégrer
d’être considéré comme étranger
Pour oublier que je suis privilégié
Parce que sur mon passeport est écrit «français»?
N’empêche que je me demande :
qu’est-ce que je suis venue chercher ici?
Est-ce que je suis venue pour voir?
-curiosité malsaine-
Ceux que mon pays a délaissé?
Ceux qui
forcent le passage
pour entrevoir nos poubelles indécentes
Est-ce que je suis venue pour contempler
-curiosité primitive-
Ceux qui ont encore ce que nous avons perdu?
Ceux qui ont conservé un rythme en accord avec notre nature
-notre unique et dissemblable nature?
Est-ce que je suis venue pour profiter de mon pouvoir d’achat
pour m’amuser
-la Terre est un grand terrain de jeu-
pour étaler ma fausse supériorité
dans un pays en voie de développement
Est-ce que je suis venue pour m’interroger sur la sémantique de mon économie?
Pour revoir ma copie?
Car enfin,
dans nos pays dit développés
-pas de bourrés-
jusqu’où poussera-t-on l’économie de l’échange?
Nous ne nous rendons plus compte que nos intermédiaires
virtuels financiers automobiliers
nous ont rendus avares
d’échanges vrais
Je ne me rends plus compte – compte -compte!
que je surfe sur l’idéologie de la quantité
Combien de pays j’ai visité?
Combien d’heures supplémentaires ?
Pour acquérir un bien superflu?
Combien de temps je perds…
en attendant à la poste
ou bien le taxi sur la route
dans ces pays pauvres! ah!
À quel moment faut-il arrêter la danse du «développé»?
Créer un accident
une dissonance
un arrêt sur image
pour obtenir la juste quantité
Mais on n’arrête pas un ballet
une chorégraphie si bien maîtrisée
développé-pas-de-bourrée
saut!
et réception!
«Moi, tu comprends, c’est différent!
Je vis ici, je ne suis pas une touriste.»
L'écrivante 