poèmes

Cultures !

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On dit souvent que l’école est un lieu de culture.
Mais madame ça veut dire quoi La Culture?
Culture : nom féminin polysémique.
Mots de la même famille : culte, cultiver, culturisme?
Culturisme : vient de l’anglais «body-building», consiste littéralement à «construire son corps». Je traduis donc : volonté de transformer son corps pour qu’il corresponde à l’image qu’on attend de lui.
Pourrait-on transposer cela au rapport prof/élève?
Voyons…. Culturisme à l’école : volonté de transformer les élèves pour qu’ils correspondent à l’image qu’on attend d’eux.
Hahaha! Vous êtes cynique, madame.
Cynique? Vous avez dit cynique? Ou .. réaliste?

Vous êtes-vous déjà promenés dans les salles des profs, dans les conseils de classe?
Nous, les profs ; moi, mes collègues ; nous nous y plaignons sans vergogne et nous y déclamons notre répétitive et inutile complainte : «Comment veux-tu qu’ils y arrivent, ils n’ont pas de culture !»
C’est ironique, n’est-ce pas?
Ce premier paradoxe m’a beaucoup choquée quand j’ai commencé à enseigner.
Je dois enseigner, et oui, je dois «cultiver» des esprits.
Alors quoi? J’attends d’eux qu’ils aient déjà .. Une bonne terre? Une terre perméable à mes idées? Pourquoi me plaindre qu’ils n’aient aucune culture? C’est mon rôle de leur apporter cette culture ; non, ce n’est pas le bon mot, la bonne pédagogie ; c’est mon rôle de leur apprendre à cultiver leur terre… D’être leur tuteur… Seulement, dois-je pour cela défricher les mauvaises herbes? Ne vaut-il mieux pas leur donner de la matière, encore et encore, leur donner un peu de nos graines et partager leurs cultures?
Car non, la culture ne se décline pas au singulier!
Alors à tous ceux que j’ai entendu déclamer sans se lasser jamais : «Mais il n’ont aucune culture!»
Je réponds aujourd’hui :
Quelle est cette culture agrifolle née dans vos cerveaux en friches?
Ne voulez-vous pas abandonner cette vielle carriole?
N’êtes-vous pas chiches
De réinventer vos fiches
D’abandonner l’acrostiche
De revisiter vos valeurs fétiches
De vous amuser un peu
De prendre un vrai bain de culture
D’arrêter de marcher au pas
D’écouter les rumeurs qui s’élèvent dans vos rangs
les désirs féroces de vos élèves indociles
De construire avec eux une saine révolte
des brouillons de lendemains meilleurs

Nous avons vu trop de misère
Ici, sous le soleil, à Mayotte, des enfants qui disparaissent en cours d’année faute de papiers
Là-bas à Paris ou à Bucarest des enfants qui n’ont ni argent ni parents
ici cette élève qui ne peut plus parler
là-bas cet élève qui ne peut pas parler d’autre chose
celle-là qui n’arrive pas à rester assise
celui-là qui ne supporte pas qu’on le touche
Nous avons vu trop de misère
Pour mettre nos oeillères
Devant cette impasse de «culture»
Culture qu’on aimerait uniforme et qui ne le sera jamais
Qui sera toujours un carrefour explosif de trajectoires improbables
Alors
Arrêtons de nous (com)plaindre
Arrêtons d’être com(plaisants)
Louons ce fourmillement, cet éclatement de culture qui est vie
Aidons-le à proliférer
Aidons nos jeunes à aimer leur univers
A bâtir le monde à leur image
Donnons-leur notre confiance
-nous ; les enseignants, les vieux, les sages
et les pas trop sages
Afin que notre avenir ; la terre de demain
Soit à notre image
-une image humaine
Et non un lieu stérile
Un lieu d’effroi et de frustration
Un lieu d’indignité
Un lieu où l’on tue sans raisons
Où l’on pesticide
Où l’on pestifère
Car nous sommes responsables,
Nous sommes tous coupables
De n’avoir pas été capables
De voir que les mauvaises herbes dans le champ du voisin
N’en sont pas
D’avoir eu peur qu’elles nous envahissent
De ne pas avoir accepté
De ne pouvoir tout contrôler
Nous sommes tous responsables de notre rigidité
De cet académisme, de cet élitisme français
Qui sclérose notre société
Cessons de camper sur nos positions avant qu’il ne soit trop tard
avant qu’il ne reste plus rien
de ce sol commun
de cette culture
Commençons
Par prendre soin de nous-même
Cessons de maltraiter le savoir par trop de rigidité
Cultivons en désordre
Laissons s’épanouir des champs entiers de fleurs sauvages
Des chants lyriques de pensées sauvages
Retrouvons le goût d’échanger et d’apprendre avec nos doigts
Transmettons et mélangeons
nos souvenirs
nos histoires
nos maux et nos mots
Réécrivons l’Histoire, inventons une autre histoire
Donnons-nous cette chance d’avancer main dans la main ;
de nous cultiver
– et surtout laissons tomber le culturisme!

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Pourquoi l’écrivante?

Pourquoi écrivante?
Parce qu’il vente dans nos écrits
Oui, il vente fort dans nos mots
C’est un avis de tempête qui s’abat sur l’orthographe française ;
La belle, la grandiose, l’illustre grammaire – grand-mère maintenant trop vieille pour comprendre le monde ou grand-mère avant-gardiste préparant la révolution ?

Mais surtout parce que les écrits réinventent et ventilent nos vies ;
Courants d’airs rafraîchissants
Ou bourrasques dévastatrices ;
Souffles qui nous font exister
à nous
lecteurs et auteurs.
Ils jalonnent nos curriculum vitae ;
Nos minuscules, ridicules et exaltants parcours de vie.
Ils éventent nos secrets
Ils vantent nos exploits – et nos faiblesses
Ils bousculent -parfois – nos idées, nos chemins que l’on croyait tous tracés
Ils nous rassurent aussi, ils nous consolent
De la perte
Du manque
Du temps qui passe
Ou qui ne passe pas assez vite
De notre jeunesse perdue
Ou de notre jeunesse impatiente
Ils sont poèmes lyriques à la gloire de la beauté éternelle : Une charogne?
Ils sont contes optimistes : Candide et l’Alchimiste auraient-ils dû se rencontrer un jour?
Ou bien ils sont
Texto passe-temps
c mortel on fé koi 2m1?
twit qui va changer ma vie
jtm
signes drolatiques
XD
de discours inutiles
car seule l’image compte
mais le mot est image
le textimage est magique
il a le pouvoir de passer à travers nous
de nous toucher sans nous percer à jour
de nous blesser sans nous toucher
de nous pousser à penser malgré nos maux
de panser nos mots

Parce que les écrits virtuels sont ambivalents
Ils apparaissent ou disparaissent au gré de l’instant
Ils portent en eux la possibilité d’éventer tous les virtuoses connectés

Parce que je suis virtuose du virtuel
mais pas écrivaine
J’ai un -vrai- métier
Je suis professeur de français
-Cela ne veut rien dire-
Je suis l’élève de mes élèves

Parce que j’avance en écrivant
J’apprends à écrire
et je désapprends à écrire
D’ailleurs je ne suis pas la seule,
Nous sommes certainement des milliers d’écrivants et d’écrivantes
Des centaines de milliers d’illustres auteurs anonymes
Nous sommes sur les bancs de l’école
Dans les salles des profs
Dans les hôpitaux
Sur les lits d’hôpitaux
Dans les rues
Dans les bureaux
Dans les usines, les cuisines
Dans les prisons
Dans notre jardin
Dans notre cité
Nés du bitume ou de la terre ferme
Nés en Afrique ou en Chine
À New-York ou à Toulouse
Nous n’avons pas la prétention d’être publiés
La toile nous a donné notre chance et nous la saisissons
Car,
Comme l’écrivantait Bukowski,
Nous avons l’intention d’être entendus entendus entendus ;
D’être lus et relus !

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